
"C'était un de ces jours où rien ne semble possible. Celui où l'on se lève le matin sans aucune raison de le faire, juste parce qu'il le faut. Celui où le réel tend à se fondre en une sorte d'irréel, qu'on ne peut pas atteindre, même si l'on y emploie toute nos forces...
Mon sac chargé d'appareil photos en tout genre, le casque bien fixé sur la tête et la board sous le bras, me voilà lancé sur une route inconnue - je suis pourtant au coeur de ma ville natale. J'ignore absoluement ce qui me guide, et d'ailleurs, ça ne m'intéresse pas; cette "force" me mène inconsciemment au spot du coin, où je retrouve quelques amis, et converse avec une nouvelle tête, un nouveau visage. Il s'appelle Alfred, son âge ne doit pas dépasser les 16 ans, et sa taille si l'on l'imagine sans les rollers aux pieds doit avoisiner les 1m60. Il habite une cité de Noisy Le Sec, dont le nom m'échappe, une qui n'est pas bien fréquentée (s'il en existe des biens fréquentées dans le coin). Sa vision des choses diffère largement de la mienne, et me donne envie d'en savoir plus. En savoir plus sur son lieu de vie, sur l'atmosphère qui règne ici. Il me compte des histoires intriguantes, de policiers courant à droite à gauche, de son entourage ici à Noisy, de voitures qui brûlent ou de casiers judiciaires...
Alfred n'est pas quelqu'un de simple, il aime savoir, et pose énormement de questions. Je lui résume une courte partie de ma vie, la place de la photo dans mon quotidien, et mes huit années de skate; pendant ce temps, nous nous dirigeons vers un endroit qu'il me décrit comme étant ce que je recherche absoluement pour satisfaire ma journée. En réalité, je connais cet endroit, j'y ai d'ailleurs passé de longues heures il y a plusieurs années de ça. Je fais mine de découvrir les lieux, mes yeux écarquillés devant ce qui m'apparaît comme étant un triste paysage de tours et de HLM - et c'est le cas en réalité. Je skate un peu... Il m'explique que les gens qui nous observent de l'autre côté de la route, sont des amis à lui, avec qui il a grandi, et qu'ils ne nous feront pas de mal, du moment qu'ils s'assurent de sa présence avec nous. Nous discutons de tout et de rien.
J'aime trainer du côté des Bosquets, à Montfermeil. Je me demande si c'est cet aspect excitant qui m'attire dans ces endroits: la simple impression d'être sur une sorte de corde sensible du danger, toujours à deux doigts du drame, tout en faisant mine de rester indifférent. Je joue avec ça comme je joue avec ce personnage qu'est Alfred. Je le vois tourner autour de mon sac, et je pense à présent qu'il s'intéresse beaucoup plus au contenu de mon sac, qu'à celui de ma vie, mais ça m'importe peu.
Je décide de partir; il propose de me raccompagner, ce que j'accepte. Après quelques derniers échanges de paroles, je me mets en route, il me suit. Je roule 10, 20, 50, puis 100 mètres, sans me retourner. Je sais très bien au fond de moi qu'il ne m'a pas suivi. Je sais aussi que derrière moi sont à présent une quinzaine de types, qui s'ils venaient à me rattrapper, se satisferaient de mes biens comme s'il s'agissait d'une issue pour eux et leur vie de ghetto; celle qu'ils n'ont peut-être pas choisi après tout...
Je pense être conscient de mon "inconscience": des risques inutiles que j'ai pris à maintes et maintes reprises. Je me doute bien aussi que ce nom d'Alfred n'en était pas vraiment un, ainsi que toutes ces histoires et descriptions qu'il a pu me compter. Au final, je ne sais même pas quel personnage se cache derrière ce masque de mensonges, et peut-être n'est ce pas si important. Peut-être moi même n'ai-je pas été très franc avec lui non plus. Et c'est ce qui m'ennui le plus dans cette histoire là, celle qui se répète infiniement. Il s'agit de rencontrer chaque jours de nouveaux inconnus, faire connaissance et parler de tout et de rien, sans pour autant lever le voile sur quelconque personnage, comme si le simple fait de rencontrer ne menait à rien.
Ce jour là, je n'ai pas fait une seule photo, et je n'ai pas été une seule fois hors de mon rêve...
Je suis à présent dans mon train, en direction de Paris, mais ceci est sans doute une autre histoire."
1 commentaire:
Joli texte, t'as eu de la chance...
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